LOI PORTANT CREATION
D'UNE COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE
Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi portant création de la couverture maladie universelle.
Si chacun s'accorde en effet sur la nécessité d'assurer l'accès de tous aux soins, les moyens mis en oeuvre par la présente loi pour réaliser cet objectif apparaissent contraires à nos droits fondamentaux et porteurs de fortes inégalités.
C'est pourquoi les députés soussignés demandent au Conseil de déclarer la présente loi non conforme à la Constitution pour les motifs suivants :
I. - La couverture maladie universelle
institue de graves inégalités entre assurés sociaux
La présente loi précise en effet que les personnes ayant la qualité de résident et dont les revenus sont inférieurs à un certain seuil bénéficieront de la couverture maladie universelle dite CMU.
Si le montant de ce seuil n'est pas expressément fixé par la loi, il ressort clairement des déclarations du Gouvernement lors des débats parlementaires que celui-ci sera de 3 500 F de revenus mensuels pour une personne seule.
Le dispositif CMU établit donc un seuil couperet. Si une personne a des revenus inférieurs à 3 500 F par mois, elle bénéficiera de la couverture maladie universelle, c'est-à-dire de la gratuité totale des soins sans avance de frais. Si ses revenus sont supérieurs, ne serait-ce que de quelques francs, elle en sera automatiquement exclue, quelle que soit sa situation sociale.
Rappelons tout d'abord que l'article 2 de notre Constitution affirme que « la République assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens ». De même, l'article 6 de la Déclaration universelle de 1789 rappelle que « la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Ce principe d'égalité est d'autant plus important en matière de couverture maladie que l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 affirme quant à lui que la nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ». Ce droit constitutionnel à l'égalité d'accès aux soins a d'ailleurs été reconnu par le Conseil dans sa décision no 75-54 DC du 15 janvier 1975 et confirmé à plusieurs reprises depuis.
Rappelons par ailleurs que, selon une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel considère, d'une part, depuis sa décision no 78-101 DC du 17 janvier 1978, que « le principe d'égalité devant la loi énoncé par l'article 6 de la déclaration de 1789, s'il implique qu'à des situations semblables il soit fait application de règles semblables, n'interdit aucunement qu'à des situations différentes soient appliquées des règles différentes ». D'autre part, depuis sa décision no 87-232 DC du 7 janvier 1988, le Conseil admet également que « le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi ».
Il convient donc de déterminer si les inégalités manifestes créées par l'effet de seuil de la CMU sont justifiées soit par une différence de situation réelle entre les assurés sociaux, soit par un motif d'intérêt général en rapport avec l'objet poursuivi par la loi.
1. Y a-t-il une réelle différence de situation entre les bénéficiaires de la CMU et les autres assurés sociaux à faibles revenus ?
Du fait de l'effet de seuil, une personne dont les revenus mensuels sont de 100, 200 ou 300 F supérieurs au seuil de 3 500 F ne bénéficiera pas de la CMU.
Il a ainsi été rappelé lors des débats qu'une personne âgée allocataire du minimum vieillesse dont le montant est, à ce jour, de 3 540,42 F ne bénéficiera pas de la CMU. De même, une personne handicapée qui perçoit l'allocation adulte handicapé, dont le montant est aujourd'hui de 3 540,41 F par mois, ne bénéficiera pas de la CMU.
Certes, dans ce deuxième cas, elle bénéficie, en application de l'article L. 381-27, des prestations maladie et maternité sans cotisation lorsqu'elle n'est pas assujettie à un autre régime obligatoire d'assurance maladie mais elle devra, dans tous les cas, supporter le coût de plus en plus lourd d'une couverture complémentaire.
Il apparaît pourtant difficile d'affirmer que les 40 F de revenus supplémentaires, dont bénéficient ces personnes par rapport au bénéficiaire de la CMU, permettent de considérer qu'elles ne sont pas défavorisées et qu'elles sont dans une situation différente quant à leur accès aux soins.
Cela est d'autant plus évident que, selon les statistiques de l'INSEE, le seuil de pauvreté en France est fixé à 3 800 F de revenus par mois, soit 300 F de plus que le seuil d'accès à la CMU. Certes, le Gouvernement a rappelé que les études de l'INSEE établissent ce seuil dans une fourchette allant de 3 200 à 3 800 F. Cependant, cet argument ne permet pas de justifier le bien-fondé du seuil de 3 500 F d'autant que le titre même de la loi aurait dû conduire le Gouvernement à retenir, en ce domaine, le seuil le plus élevé, comme l'avait d'ailleurs demandé l'ensemble des députés membres de la commission des affaires sociales de l'Assemblée en votant en première lecture un amendement fixant le seuil d'accès à la CMU à 3 800 F par mois.
Certes, le Gouvernement a indiqué lors des débats que l'effet de seuil pourrait, dans une certaine mesure, être limité par les systèmes d'aide sociale, les fonds d'action sociale des caisses et la création d'un fonds à l'initiative des organismes privés de prestations complémentaires. Il convient cependant de noter tout d'abord que les financements des systèmes d'aide sociale vont en grande partie être utilisés pour mettre en place la CMU et que ces mécanismes de soi-disant lissage de l'effet de seuil sont laissés à l'entière initiative des collectivités, des partenaires sociaux et des acteurs de la protection sociale. La loi ne fixe en conséquence aucun dispositif réel permettant de remettre en cause effectivement les effets négatifs du seuil couperet, fixé par l'article 3, pour de nombreuses personnes défavorisées.
De plus, il convient de signaler que l'instauration de la couverture maladie universelle ne permettra pas de résoudre les différences de couverture sociale, notamment de couverture maladie, existant entre les différents régimes de sécurité sociale. En conséquence, du fait de l'affiliation obligatoire à certains régimes, certaines personnes vont continuer à cotiser pour un régime de base alors que leurs revenus sont inférieurs au seuil d'accès à la CMU. Il en est ainsi d'un agriculteur gagnant moins de 3 500 F par mois mais disposant d'une certaine surface d'exploitation. Il devra en conséquence, comme l'a fait remarquer à plusieurs reprises la Mutuelle sociale agricole, continuer à cotiser à la MSA, contrairement à un non-agriculteur ayant les mêmes revenus ou encore un agriculteur ayant une surface d'exploitation plus petite. Le même type de situation interviendra également pour les étudiants qui ne sont pas éligibles à la CMU. A cette objection le Gouvernement s'est contenté de répondre, lors des débats, que la présente loi ne modifie pas les régimes professionnels.
Il paraît donc évident que l'inégalité, créée par l'instauration de la CMU, entre des personnes défavorisées ayant un niveau de revenu voisin ne peut être justifiée par une différence réelle de situations.
2. Les inégalités créées par l'instauration de la CMU sont-elles alors liées à la poursuite d'un motif d'intérêt général conforme à l'objet poursuivi par la présente loi ?
A de nombreuses reprises lors des débats, il a en effet été invoqué que l'instauration de la couverture maladie universelle répondait à une lacune de notre système de protection sociale et à un impératif de solidarité envers les plus pauvres. Ainsi dès les premières phrases de l'exposé des motifs du projet de loi, il est affirmé :
« L'inégalité devant la prévention et les soins est l'une des injustices les plus criantes. Il n'est pas acceptable que certains ne puissent bénéficier ou faire bénéficier leurs enfants des soins dont ils ont besoin. Devant la maladie et la douleur le niveau de revenu ne doit pas introduire de discrimination. » Le motif d'intérêt général qui sous-tend la couverture maladie universelle semblait donc clair. Il s'agissait d'assurer l'égalité d'accès aux soins des plus démunis de nos concitoyens.
Or, nous avons démontré que cette égalité était au contraire remise en cause par les effets mêmes du seuil d'accès à la CMU. L'objectif poursuivi par la CMU et la présente loi est donc remis en cause par le caractère non objectif du seuil choisi, qui porte d'ailleurs atteinte au niveau de protection sociale dont bénéficiaient des personnes défavorisées dans plus de trente départements, dont Paris, où l'aide sociale gratuite est aujourd'hui ouverte à des personnes ayant des revenus supérieurs à 3 500 F par mois. En conséquence, au nom d'une solidarité aveugle, la CMU va remettre en cause des droits acquis en matière sociale pour plus d'un tiers des plus défavorisés de nos concitoyens.
Il paraît donc difficile de considérer que les inégalités créées par l'effet de seuil de la CMU sont justifiées par l'objectif d'intérêt général poursuivi par la loi. La réelle justification du seuil de 3 500 F a d'ailleurs été clairement précisée, lors des débats parlementaires, par le Gouvernement. Le ministre de l'emploi et de la solidarité a ainsi répondu, lors de la première lecture de cette loi à l'Assemblée (JO, AN, 2e séance du 28 avril 1999, p. 3748), à la question « Faut-il relever le seuil à 3 800 F ? » :
« Nous toucherions deux millions de personnes de plus et la dépense serait de deux millions multipliés par 1 500 F, soit 3 milliards de francs. »
Il est clair que l'inégalité entre des personnes défavorisées établie par le seuil de 3 500 F ne peut être justifiée par un objectif d'intérêt général en rapport avec l'objet même de la loi et que le dispositif CMU doit en conséquence être déclaré contraire au principe constitutionnel d'égalité devant la loi affirmé selon une jurisprudence constante par le Conseil depuis sa décision no 73-51 DC du 27 décembre 1973. Cette rupture d'égalité est d'autant plus inadmissible qu'elle entraîne des conséquences financières et sanitaires très importantes pour les personnes concernées, du fait de la très grande différence de couverture maladie ainsi instaurée entre ces personnes, découlant de la prise en charge à 100 % sans avance de frais des bénéficiaires de la CMU.
II. - La couverture maladie universelle crée par ailleurs d'importantes inégalités entre les organismes de protection sociale complémentaire et les caisses primaires d'assurance maladie
1. La CMU place les caisses d'assurance maladie dans une situation privilégiée pour présenter au bénéficiaire de la loi une couverture complémentaire
Le dispositif CMU réaffirme en effet le monopole des caisses primaires d'assurance maladie sur la prestation de base. Par contre, il autorise les caisses à distribuer les prestations complémentaires au même titre que les organismes traditionnels de protection complémentaire volontaire.
En conséquence, sur le volet complémentaire de la CMU, la loi instaure une concurrence entre les caisses primaires d'assurance maladie et ces organismes complémentaires.
Or les modalités de mise en oeuvre de la CMU rendent cette concurrence déloyale du fait même du monopole reconnu aux caisses concernant l'instruction des dossiers de demande de couverture maladie universelle ainsi que l'ouverture des droits.
En effet, par pure commodité pour des populations en difficultés souvent majeures, il paraît évident que les bénéficiaires de la CMU se tourneront tout naturellement vers les caisses pour leur couverture complémentaire afin de n'avoir qu'un seul et même interlocuteur pour leur couverture maladie. Les accords signés, ces dernières années, entre des mutuelles et les organismes de sécurité sociale pour permettre la transmission directe des feuilles de remboursement sans intervention de l'assuré prouvent, s'il en était besoin, le souhait des assurés de n'avoir qu'un seul interlocuteur direct en ce domaine.
Par ailleurs, il paraît tout aussi évident que lors de l'instruction de la demande de CMU, l'agent de la caisse primaire fera part au futur bénéficiaire de l'offre de prestation complémentaire de sa caisse. Le choix du bénéficiaire sera donc biaisé du fait même de l'organisation légale de la CMU, créant ainsi une concurrence déloyale entre des organismes placés dans la même situation et cela sans qu'un motif d'intérêt général le justifie.
Certes, le protocole relatif à la CMU signé entre la Caisse nationale d'assurance maladie, les mutuelles et les assureurs précise que « les caisses, en application du principe de subsidiarité, n'offrent une telle prestation qu'en cas de carence constatée des organismes complémentaires ». Cependant, il ne s'agit que d'un engagement contractuel qui peut à tout moment être remis en cause et qui prouve d'ailleurs que le dispositif de cette loi présente bien des risques de concurrence déloyale entre les organismes chargés de distribuer la prestation complémentaire de la couverture maladie universelle.
Cette inégalité ne peut par ailleurs être justifiée par l'argument selon lequel l'intervention des caisses dans le secteur de la prestation complémentaire a pour objectif, comme l'a indiqué le ministre de l'emploi et de la solidarité lors de son audition devant la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, « de ne pas courir le risque d'une carence dans l'application de la loi en cas d'engagement insuffisant des organismes complémentaires » (p. 4 du compte rendu de la commission). En effet, page 8 du même compte rendu, le ministre affirmait que « les assureurs, les mutuelles et les institutions de prévoyance ne pourront pas choisir ou refuser les assurés ». Comment pourraient-elles alors ne pas s'engager ?
Cette différence de situations entre les organismes chargés de la prestation complémentaire est enfin aggravée par les modalités de compensation des dépenses engagées au titre de la couverture maladie complémentaire. En effet, la présente loi précise que le fonds de financement de la CMU remboursera intégralement les dépenses effectuées par les caisses au titre de la prestation complémentaire. Par contre, les organismes de prestation complémentaire volontaire ne bénéficieront quant à eux que d'un forfait de 1 500 F annuels par contrat et cela quel que soit le montant réel des prestations fournies. Or, ces organismes sont en principe dans la même situation que les caisses puisque la loi n'établit pas de partition entre caisses et organismes privés chargés d'une prestation complémentaire en fonction du niveau de revenu des bénéficiaires de la CMU.
De plus, la différence de remboursement risque d'avoir de très lourdes conséquences sur l'équilibre de certains organismes spécialisés dans la couverture complémentaire de certaines professions. Certains organismes ont en effet d'ores et déjà une couverture complémentaire d'un coût plus élevé que ceux intervenant auprès des assurés du régime général. Tel est, par exemple, le cas de la CANAM, caisse des artisans et commerçants. L'intervention de la CMU ne pourra qu'accentuer encore cette inégalité quant au coût de la prestation complémentaire.
Il convient également de préciser que l'intervention des caisses primaires dans le secteur de la prestation complémentaire risque de ne pas inciter les caisses à contrôler les dépenses réalisées par les bénéficiaires de la CMU du fait de cette compensation intégrale de leur coût.
Enfin, il convient de souligner que l'affirmation du monopole des caisses sur la prestation de base peut être également interprétée comme un abus de position au sens du droit communautaire (art. 86 du traité).
En effet, en droit communautaire, une entreprise est constituée par « tout organisme exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de fonctionnement ». Ainsi, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a reconnu la qualité d'entreprise à une association sans but lucratif dès lors qu'elle « participe à un échange de services économiques » (cf. Déc. 29 octobre 1981, CVL/IV/29839, JOCE no L 370 du 28 décembre 1981).
En conséquence, l'intervention des caisses primaires d'assurance maladie dans le secteur concurrentielle de la prestation complémentaire conduirait, en cas d'action devant la CJCE, à les considérer comme des entreprises, alors même qu'elles ont un statut d'établissement public. La Cour a en effet appliqué ce raisonnement à plusieurs reprises concernant notamment la poste espagnole pourtant gérée en régie par l'Etat (Déc. 1er août 1990, JOCE no L 233 du 28 août 1990).
Or, aux termes de l'article 86 du traité de Rome, le fait pour une entreprise « d'exploiter de façon abusive une position dominante » se réalise notamment par les pratiques suivantes :
- imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables ;
- appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence.
Le dispositif CMU précédemment décrit apparaît donc manifestement en contradiction avec les règles communautaires en matière de concurrence.
2. Le mode de financement de la CMU crée une inégalité devant les charges publiques au détriment des organismes de prestations complémentaires privés ainsi d'ailleurs quevis-à-vis de leur adhérents
L'article 13 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1789 affirme en effet que : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses de l'administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés. »
Selon une jurisprudence constante depuis sa décision no 81-133 DC du 30 décembre 1981, le Conseil se fonde sur cet article pour vérifier le respect par la loi de l'égalité devant les charges fiscales ou devant les contributions sociales obligatoires.
Il a, par ailleurs, précisé dans sa décision du 18 décembre 1997 (R. p. 30) que, si le législateur est libre de déterminer les redevables, l'assiette et le taux d'une nouvelle contribution obligatoire, il doit le faire « sous réserve des principes et règles de valeurs constitutionnelles » et que, particulièrement en ce qui concerne l'établissement d'une contribution chargée d'assurer l'équilibre financier de la sécurité sociale, « la détermination des redevables ne saurait aboutir à une rupture caractérisée de l'égalité des citoyens devant les charges publiques ». En l'espèce, le Conseil avait vérifié que le régime différencié d'une contribution sociale spéciale de 2,5 %, selon que le redevable était un laboratoire pharmaceutique ou un grossiste de médicaments, était justifié par l'existence d'obligations de service public ne s'imposant qu'aux premiers. De plus, dans sa décision du 19 novembre 1997 relative à l'institution d'une contribution de solidarité instituée par l'assemblée territoriale de la Polynésie française, le Conseil a rappelé que, pour assurer le respect du principe d'égalité en ce domaine, le législateur doit « fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de cette contribution et les facultés contributives des redevables ».
Or, le fonds de financement de la CMU est financé par une contribution d'Etat et par un prélèvement de 1,75 % du chiffre d'affaires santé des organismes complémentaires privés (mutuelles, institutions de prévoyance, sociétés d'assurances). Les caisses primaires d'assurance maladie ne sont donc pas assujetties à cette nouvelle taxe sans qu'aucun critère objectif puisse justifier cette exonération. Cette inégalité est d'autant plus importante que ces mêmes caisses verront leurs dépenses de prestation complémentaire totalement couvertes par ce fonds alors que les organismes privés cotisants ne bénéficient quant à eux que d'un remboursement forfaitaire. Ainsi, contrairement à la logique partenariale affichée par le Gouvernement, les organismes complémentaires interviennent à titre principal au niveau du financement de la CMU alors qu'ils n'ont qu'un rôle subsidiaire dans la gestion de la CMU. Cette intervention est directe grâce à la nouvelle cotisation de solidarité de 1,75 % et de manière indirecte puisque, en toute logique, le forfait de 1 500 F par allocataire serait largement insuffisant pour compenser les dépenses réalisées par les bénéficiaires de la CMU au titre de leur prestation complémentaire. Cette inégalité devant les charges publiques est par ailleurs accentuée par le fait que la nouvelle cotisation de 1,75 % est prélevée sur le chiffre d'affaires hors taxes des organismes complémentaires. En conséquence, ce nouveau prélèvement obligatoire sera soumis à l'impôt sur les sociétés. Il y a donc double imposition.
Cette inégalité de traitement ne pourra par ailleurs être compensée que par une augmentation des cotisations des adhérents de ces organismes. En conséquence, ces adhérents vont assumer, eux aussi, deux fois le coût de la CMU par l'impôt au titre de la solidarité et par l'accroissement de leurs cotisations complémentaires afin de continuer à avoir un accès suffisant aux soins. La CMU risque d'ailleurs d'entraîner, du fait de cette augmentation inévitable des cotisations, l'exclusion de certaines personnes à revenu modeste du champ de la couverture complémentaire.
Enfin, il convient de signaler que compte tenu de l'évolution du droit communautaire, en ce domaine, cette nouvelle contribution de 1,75 % risque d'être inapplicable aux organismes européens de couverture complémentaire intervenant sur le marché français. Ceux-ci pourront en effet arguer de l'entrave à la liberté de la concurrence établie par le dispositif CMU en faveur des caisses ou encore oublier de désigner, auprès de l'administration fiscale, un mandataire financier pour acquitter ce type de taxe comme cela est déjà le cas en pratique dans d'autres domaines.
3. L'instauration de la CMU va aboutir à la résiliation de plein droit sans indemnisation des contrats d'assurance complémentaire souscrits, à ce jour, par les futurs bénéficiaires de la CMU
Or le Conseil constitutionnel a, dans sa décision du 13 décembre 1985 relative à l'établissement de servitudes de transmission hertzienne sur certains immeubles, rappelé que « le principe d'égalité devant les charges publiques ne saurait permettre d'exclure du droit à réparation un élément quelconque du préjudice indemnisable résultant de travaux ou d'un ouvrage public ».
En conséquence, lorsque le législateur porte atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques, comme c'est le cas avec la CMU, il a l'obligation de mettre en place un mécanisme d'indemnisation intégrale du préjudice causé par son intervention. La nécessité d'une telle indemnisation est d'autant plus évidente que certains organismes complémentaires vont voir jusqu'au tiers de leurs adhérents passés sous le régime de la CMU.
La résiliation unilatérale et de plein droit des contrats d'assurance complémentaire signés par les futurs bénéficiaires de la CMU constitue en conséquence une rupture de l'égalité devant les charges publiques pour ces organismes qui sont ainsi amputés d'une partie de leur actif sans qu'un mécanisme d'indemnisation ne soit mis en place. A cette rupture de l'égalité devant les charges publiques s'ajoute une atteinte au droit de propriété qui aurait dû faire aussi l'objet d'une procédure d'indemnisation comme le prévoient nos principes fondamentaux en matière d'expropriation.
4. L'instauration de la CMU porte également atteinte au principe d'égalité devant le service public au détriment des organismes d'assurance complémentaire
Le principe d'égalité devant le service public est traditionnellement invoqué pour faire droit aux usagers. Cependant, il doit également être respecté dans la définition des modalités d'association des différents opérateurs participant audit service public.
Lors des débats, le Gouvernement a affirmé le caractère non commercial de la prestation complémentaire versée aux bénéficiaires de la CMU pour justifier, en partie, l'intervention des caisses de sécurité sociale en ce domaine. C'est d'ailleurs sur ce fondement qu'il justifie également l'obligation faite aux organismes de prestation complémentaire volontaire de maintenir les droits du bénéficiaire de la CMU pendant l'année suivant sa sortie de ce régime d'assurance maladie.
Or, si la couverture complémentaire relève de la solidarité, les différents prestataires de service habilités par l'Etat à procéder au versement de cette prestation devraient bénéficier d'un régime égalitaire, ce qui n'est pas le cas, comme le prouvent les points précédemment évoqués. Si, par contre, la couverture complémentaire est considérée comme relevant de l'assurance individuelle, les caisses ne devraient pas pouvoir intervenir dans le champ de la prestation complémentaire.
Le dispositif de la couverture maladie universelle instaure donc de multiples ruptures d'égalité qui ne peuvent être justifiées ni par une réelle différence de situations entre les personnes ou organismes concernés ni par un motif de service public en rapport avec l'objet même de la loi. Il doit donc être tant dans son mode de fonctionnement que dans ses modalités de financement déclaré contraire au principe d'égalité et non conforme à notre Constitution.
III. - La couverture maladie universelle est contraire
aux principes fondamentaux de notre protection sociale
L'alinéa 11 du Préambule du 27 octobre 1946 affirme un droit constitutionnel à la santé. Or la mise en oeuvre de ce droit constitutionnel par notre système de protection sociale est fondée par le respect des principes suivants :
- le principe contributif ;
- le remboursement des soins en fonction des besoins et non des revenus ;
- le monopole de gestion de la prestation de base par les organismes de sécurité sociale.
Or, sous couvert de mettre en oeuvre ce principe constitutionnel d'égal accès aux soins, le dispositif CMU porte atteinte à ces trois principes sans qu'un réel débat ait été mené sur ces questions.
1. La CMU remet en cause le principe contributif
L'article 2 de la loi met en effet fin au mécanisme de l'assurance individuelle, ainsi qu'au dispositif classique de l'aide médicale gratuite où le principe contributif était sauvegardé. Les collectivités assuraient en effet une cotisation en lieu et place du bénéficiaire de l'aide. Il convient d'ailleurs de signaler que cette totale abrogation de l'assurance personnelle porte manifestement atteinte au principe de liberté d'assurance.
En conséquence, les 550 000 personnes qui ont, à ce jour, souscrit une assurance personnelle, sont contraintes de s'affilier auprès des caisses primaires et cela parfois à des conditions plus désavantageuses que le système actuel.
La CMU repose au contraire sur un sytème de gratuité des droits fourni sans aucune compensation financière.
Le Gouvernement a d'ailleurs reconnu cette atteinte portée au principe contributif. Ainsi, le ministre de l'emploi et de la solidarité a reconnu, en première lecture, devant l'Assemblée, « qu'il est vrai qu'une contribution, dans bien des domaines, est un moyen de faire appel à la responsabilité » (JO, AN, 2e séance du 27 avril 1999, p. 3652).
Il est d'ailleurs à noter que le rapport de M. Jean-Claude Boulard, remis au Gouvernement en vue de l'élaboration du dispositif CMU, indiquait que « l'effort contributif, même limité, est une valeur du monde mutualiste qu'il convient de prendre en compte - contribuer, même faiblement, est une composante de l'insertion ».
Certes, le dispositif CMU prévoit qu'un décret fixera un seuil de revenus au-delà duquel le bénéficiaire de la CMU pourrait se voir demander une contribution modique.
Cependant, lors des débats sur les différents amendements déposés en faveur du retour à une allocation personnalisée à la santé fondée sur une contribution minimum, le Gouvernement a objecté que le coût de recouvrement d'une telle contribution serait particulièrement élevé et qu'il serait difficile de refuser des soins à une personne défavorisée n'ayant pas versé sa contribution.
On peut donc en déduire que la couverture maladie universelle met fin au principe contributif, fondement de notre régime de protection sociale. Par ailleurs, si l'objectif d'égal accès aux soins pour les plus démunis est reconnu pour tous, il ne permet pas de fonder la dérogation au principe contributif ainsi institué. D'une part, nous avons démontré précédemment que certains de nos concitoyens parmi les plus défavorisés ne bénéficieront en aucun cas de la CMU. D'autre part, le système actuel de l'aide médicale gratuite ainsi que de l'assurance personnelle permettaient de respecter le principe contributif tout en assurant un accès aux soins, certes perfectible, mais existant.
2. La CMU met sous condition de ressources
une partie de l'assurance maladie
En établissant en effet un seuil de 3 500 F en dessous duquel l'assuré social bénéficie de la prise en charge à 100 % de ses dépenses d'assurance maladie sans avance de frais, la couverture maladie universelle institue un nouveau régime d'assurance maladie fondé sur le niveau de revenu du bénéficiaire et porte ainsi en elle-même les risques de l'instauration d'une sécurité sociale à deux vitesses sans qu'un réel débat n'ait eu lieu sur l'avenir de notre protection sociale.
Il convient d'ailleurs de noter que la CMU couvrant également le champ de la prestation complémentaire, elle porte également atteinte aux principes fondateurs que sont les principes d'adhésion, de cotisation, d'égalité de remboursement et de participation à la vie de la famille mutualiste.
3. La couverture maladie universelle risque de remettre en cause le monopole de gestion reconnu aux caisses primaires d'assurance maladie du régime de base
L'intervention des caisses dans le secteur de la prestation complémentaire va conduire en effet, comme nous l'avons précédemment évoqué, à les considérer comme des entreprises au sens du droit communautaire.
Or, il convient de rappeler qu'en vertu de l'article 55 de notre Constitution, « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur application, une autorité supérieure à celle des lois », sous réserve de réciprocité.
En conséquence, si les caisses d'assurance maladie se définissent, au niveau communautaire, comme des entreprises, la situation monopolistique dont elles bénéficient, en vertu de la loi, sur le régime de base, pourra être considérée comme un abus de position dominante et la France pourrait en conséquence être contrainte de remettre en cause ce monopole.
Il convient d'ailleurs de rappeler que dans son arrêt du 8 novembre 1996 (AJDA 1997, p. 204), le Conseil d'Etat a reconnu le bien-fondé de cette analyse en jugeant que « la Caisse nationale d'assurance maladie vieillesse mutualiste agricole, chargée de la gestion du régime complémentaire d'assurance vieillesse institué par le code rural, doit être considérée comme une entreprise au sens des articles 85 et suivants du traité instituant la Communauté européenne ». Rappelons que, dans cette affaire, le Conseil d'Etat avait renvoyé le dossier, par le biais d'une question préjudicielle, à la Cour de justice des Communautés qui, par un avis du 15 novembre 1995, avait précisé qu'« un organisme à but non lucratif, gérant un régime d'assurance vieillesse destiné à compléter un régime de base obligatoire, institué par la loi à titre facultatif et fonctionnant dans le respect des règles définies par le pouvoir réglementaire, notamment en ce qui concerne les conditions d'adhésion, les cotisations et les prestations, selon le principe de capitalisation, est une entreprise au sens des articles 85 et suivants du traité instituant la Communauté européenne ».
Le dispositif de la CMU apparaît donc clairement contraire aux règles communautaires et remet en cause certains de nos principes sociaux fondamentaux sans qu'un réel débat permettant l'adhésion de nos concitoyens n'ait pu avoir lieu sur l'avenir de nos régimes par capitalisation.
IV. - L'article 14 est contraire au respect
des droits de la défense
Cet article vise en effet à modifier les règles applicables à la procédure d'opposition à tiers détenteur permettant aux caisses des non-salariés d'obtenir le recouvrement forcé des cotisations non payées et des pénalités de retard.
Il convient tout d'abord de rappeler que le nécessaire respect des droits de la défense a été affirmé par le Conseil constitutionnel tant en matière pénale que dans les autres secteurs juridiques. Selon une jurisprudence à présent bien établie depuis la décision de principe no 80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981, le Conseil reconnaît en effet le caractère constitutionnel du respect des droits de la défense, principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Dans sa décision no 89-260 DC du 28 juillet 1989, il a précisé que le respect des droits de la défense impose l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties. Or, l'article 14 tel qu'il est défini par la présente loi conduit à renverser la charge de la preuve de sa non-culpabilité vers l'assuré social alors qu'à ce jour il appartenait aux organismes sociaux concernés de demander au juge la condamnation de l'assuré pour impayé. Certes, il pourra être révoqué qu'en cours de discussion parlementaire, trois procédures permettant à l'assuré social, à l'encontre duquel une procédure à tiers détenteur est déclenchée, de demander au juge de statuer sur la justification de cette procédure.
Cependant, le seul recours au juge ne peut être considéré comme garantissant, comme l'a demandé le Conseil, l'égalité des parties dans la mise en oeuvre de la procédure en cause. L'article 14, en effet, concentre entre les mains du seul créancier à la fois la délivrance du titre exécutoire et l'exécution de celui-ci. Un tel dispositif apparaît donc contraire avec le droit européen, notamment l'article 6, premier alinéa, de la Convention européenne des droits de l'homme, il convient d'ailleurs de rappeler que la Commission européenne considère comme illicite toute mesure d'exécution forcée qui se ferait sans une intervention préalable d'un juge ou d'un organisme indépendant. Or, si l'article 14 prévoit l'intervention du juge, cette intervention ne vient qu'a posteriori et non a priori et, en conséquence, l'article 14 apparaît donc contraire au respect des droits de la défense et au principe du contradictoire qui prévaut devant nos institutions judiciaires.
V. - L'article 27 de la présente loi doit être déclaré
non conforme à l'article 34 de notre Constitution
Cet article crée en effet le « fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie » sous la forme d'un établissement public national à caractère administratif.
Or, il apparaît difficile d'intégrer ce nouvel établissement dans une des catégories d'établissements publics préexistantes. Aucun établissement n'a, à ce jour, en effet, et c'est l'évidence même, une spécialité analogue à celle de ce fonds dont la mission est de financer la nouvelle couverture maladie universelle.
En conséquence, il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel, conformément à une jurisprudence aujourd'hui pleinement établie depuis sa décision de principe no 59-1 L du 27 novembre 1959, rappelle que « l'article 34 de notre Constitution a réservé à la loi la fixation des règles concernant la création des catégories d'établissements publics ». Par ailleurs, il a précisé que le domaine du législateur doit être considéré comme comprenant non seulement la décision de création de la nouvelle catégorie d'établissements publics, mais aussi la détermination des règles essentielles appelées à régir cette catégorie d'établissement public (CC 43 et 50 L du 30 janvier 1968 ; 67-47 L du 12 décembre 1967...).
Or l'article 27 du dispositif CMU ne procède, pour l'essentiel, qu'à la simple création du fonds et ne précise notamment pas le cadre exact de sa mission et les modalités d'exercice du pouvoir de tutelle sur cet établissement. En conséquence, il apparaît clairement que le législateur n'a pas exercé pleinement sa compétence en ce domaine et a donc méconnu les dispositions de l'article 34 de notre Constitution.
VI. - L'article 36 est contraire au principe
de respect de la vie privée
Cet article définit en effet les modalités d'organisation de la carte d'assurance maladie informatisée dite « vitale 2 ». L'intervention du législateur en ce domaine répond à l'annulation, par le Conseil d'Etat, d'un arrêté interministériel du 28 mars 1997, faisant référence aux dispositions de l'ordonnance no 96-345 du 24 avril 1996 définissant les conditions de mise en oeuvre de cette carte.
Le conseil a en effet considéré qu'afin de respecter les principes constitutionnels de liberté individuelle et de respect de la vie privée, tels que définis notamment dans la décision no 94-352 DC du 18 janvier 1995, il appartenait à la loi de définir « le mode de consentement du patient à l'enregistrement des données le concernant, le délai pendant lequel les informations doivent demeurer sur le volet santé et la possibilité d'en obtenir la suppression ».
Si le dispositif de l'article 36 prend en ce domaine un certain nombre de précautions afin de garantir l'inviolabilité des données concernant la santé du malade, il n'en demeure pas moins que tout système informatisé de transmission d'informations comporte le risque d'être déjoué. La volonté affirmée par le Gouvernement dans l'article 41 de la présente loi de soumettre à l'autorisation de la CNIL et du Gouvernement la communication de toute statistique émanant du PMSI prouve en effet que même lorsque des données relatives à la santé sont présentées de manière anonyme, le risque d'atteinte à la vie privée du malade existe. Il paraît donc évident que le dispositif de l'article 36 méconnaît le principe constitutionnel du respect de la vie privée.
VII. - L'article 41 de la loi est contraire
à la liberté de la communication
Ces derniers mois, de nombreuses études ont été publiées dans la presse sur l'état de notre système de santé, services des urgences, maternités. Ces analyses souvent critiques ont pu être réalisées en utilisant les données anonymes recensées dans le cadre du PMSI.
Or, par cet article 41, le Gouvernement a initialement voulu subordonner toute communication de ces données statistiques à son bon vouloir. Compte tenu de l'opposition manifestée par l'ensemble des parlementaires face à ce fait du prince, le Gouvernement a accepté de moduler son dispositif sans pour autant réellement remettre en cause l'atteinte ainsi portée à la liberté de communication.
Il convient, en premier lieu, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le conseil qualifie la liberté de communication des pensées et des opinions comme « une liberté fondamentale affirmée par l'article 11 de la déclaration de 1789, d'autant plus précieuse que son exercice est l'une des garanties essentielles du respect des autres droits et de la souveraineté nationale ». Dans sa décision no 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984, le conseil rappelle que l'exercice par le législateur de sa compétence ne peut donc avoir pour objectif que de modifier ou d'abroger des réglementations relatives à la liberté de la communication et ayant pour finalité de les rendre plus efficaces.
L'article 41 en surbordonnant la communication de données statistiques anonymes à un avis conforme de la Commission nationale informatique et libertés et du Gouvernement ne peut être au contraire considéré que comme limitant la liberté d'information.
Les modifications intervenues lors de l'examen de cet article devant le Parlement par voie d'amendements n'ont pas permis de répondre à cette objection. En effet, le texte de l'article 41 prévoit que les données communicables ne comportent ni le nom ni le numéro d'INSEE du malade. Or, le PMSI respecte déjà ces obligations. Les textes en vigueur pouvaient paraître d'ailleurs beaucoup plus restrictifs puisqu'ils se fondaient sur la notion de personne « non identifiable ». Or, l'identification d'une personne peut se faire par d'autres moyens que la communication de son nom et de son numéro d'INSEE.
De plus, l'obligation faite au demandeur d'obtenir l'avis positif de la CNIL ne paraît pas être une garantie suffisante pour éviter la rupture de l'anonymat et on peut s'interroger sur la compétence de la CNIL pour déterminer, selon les termes mêmes de la loi, le « sérieux » et les « références » des demandeurs.
En conséquence, au lieu de proposer des solutions afin de rendre impossible l'identification des personnes concernées par les statistiques communiquées, le législateur a, par l'article 41, transféré la charge du respect de l'anonymat des personnes concernées vers les organismes de communication demandeurs. Il institue ainsi une procédure administrative lourde dont l'efficacité reste à démontrer et qui porte manifestement atteinte à la liberté de communication.
VIII. - Le titre V de la loi portant création de la couverture maladie universelle n'a pas de rapport direct avec l'objet de la présente et constitue en fait un DMOS. Le Gouvernement a en conséquence contrevenu en la matière au respect de la distinction entre projet de loi ou proposition et amendement. Il a également porté manifestement atteinte aux droits d'initiative et de contrôle des parlementaires
Initialement constitué par 6 articles regroupés sous un titre au nom volontairement imprécis « modernisation sanitaire et sociale », le titre V de la présente loi compte aujourd'hui 29 articles .
Il apparaît donc comme un véritable projet de loi portant diverses mesures d'ordre social greffé à la fin du projet de loi couverture maladie universelle. L'existence de ce DMOS a d'ailleurs été clairement reconnu par le Gouvernement lors des débats. Alors que le rapporteur de l'Assemblée, en première lecture, rappelait le nombre limité d'articles de ce titre V, le qualifiant de « mini-DMOS », le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale y voyait lui déjà une collection de mesures « visant à améliorer, dans des domaines variés, le fonctionnement de notre système de santé ». Le dossier de presse, remis à l'occasion de la présentation de la loi CMU au conseil des ministres du 3 mars 1999, voyait quant à lui dans ces 6 articles initiaux « une réforme sociale unique en Europe et une avancée sociale majeure ».
Lors de son audition devant la commission des affaires sociales du Sénat, le ministre de l'emploi et de la solidarité a d'ailleurs reconnu (rapport de MM. Charles Descours et Claude Huriet, tome II, p. 3) que le défaut d'inscription à l'ordre du jour parlementaire d'un véritable DMOS, qui comporterait en tout état de cause un très grand nombre d'articles , en raison de la transposition de cinq directives européennes, était pénalisant.
La nature juridique du titre V, véritable projet de loi, a donc été clairement reconnu.
Or, il convient de rappeler que dans sa décision de principe du 23 janvier 1987, le Conseil a censuré pour détournement de procédure des dispositions qui « à raison tant de leur ampleur que de leur importance, excèdent les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement » et qui, par leur objet ou leur portée, méconnaissaient « la distinction établie entre les projets et propositions de loi visées par l'article 39 de la Constitution et les amendements dont ces derniers peuvent faire l'objet en vertu de l'article 44, alinéa 1er ».
L'énoncé des champs de compétence des articles de ce titre prouve à lui seul l'étendue des secteurs visés et la mise en oeuvre d'un véritable projet de loi sanitaire et sociale et sans lien réel avec l'objet même de la présente loi, à savoir la création d'une couverture maladie universelle.
Entre ainsi dans le champ du titre V : la définition du volet de santé de la carte d'assurance maladie, la vérification des compétences des aides opératoires, le traitement des données personnelles de santé à des fins d'évaluation et d'analyse des activités de soin et de prévention, la création d'un groupement d'intérêt public pour la modernisation du système d'information hospitalier, la définition des objectifs respectifs des schémas d'organisation sanitaire et de la carte sanitaire, la prise en compte des besoins de santé dans les zones sanitaires, l'obligation d'autorisation administrative en cas de transfert d'une clinique privée, l'adhésion des établissements sociaux aux syndicats interhospitaliers, la création des établissements publics de santé interhospitaliers, les honoraires des praticiens exerçant une activité libérale, les modalités d'expérimentation en matière de tarification à la pathologie dans les établissements de santé, la formation médicale conventionnelle, les fonctions hospitalières exercées par les étudiants en chirurgie dentaire, la situation des médecins titulaires de diplômes extra-européens ou de nationalité extra-européenne, celle des pharmaciens titulaires de diplôme extra-européen, l'interdiction de la prise en compte des résultats des études génétiques par la décision d'attribuer une protection complémentaire, la limite d'âge et de désignation des administrateurs de la CANAM, la fixation du régime des prestations supplémentaires par la CANAM, la création, le transfert et le regroupement d'officine de pharmacie avec un amendement de 7 pages, l'activité des pharmacies hospitalières à usage intérieur en cas de recherche biomédicale, la stérilisation dans les établissements de santé, les attributions du directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, la création de comités d'experts au sein de l'Agence française de la sécurité sanitaire des aliments, le respect du corps humain, la remise d'un rapport au Parlement sur les comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale ou encore l'organisation de la caisse d'assurance vieillesse, invalidité et maladie des cultes, l'étiquetage des produits alimentaires conditionnés.
Certes, il pourrait être invoqué que contrairement aux dispositions visées par le conseil dans sa décision du 23 janvier 1987, l'essentiel des nouveaux articles du titre V découle d'amendements d'origine parlementaire.
Cet argument purement formel, lié à la qualité de l'auteur de l'amendement, ne paraît pas recevable. D'une part, il convient de rappeler que la décision du 23 janvier 1987 précédemment citée vise autant les propositions de loi que les projets de loi. Le conseil exerce son contrôle en tenant compte, non de l'origine de l'amendement, mais de son lien avec l'objet de la loi et de son ampleur face au projet de loi initial. D'autre part, s'il est exact que l'essentiel des articles nouveaux sont issus d'amendements parlementaires, ils sont issus pour l'essentiel d'un petit nombre de parlementaires de la majorité. A la lecture des débats, on peut d'ailleurs constater que dans de très nombreux cas, les amendements des parlementaires, notamment de l'opposition, ont été rejetés par le Gouvernement au seul motif qu'ils n'avaient pas de lien avec l'objet de la loi.
Le titre V apparaît donc bien comme un véritable projet de loi adopté en totale contradiction avec les règles tant de présentation que d'examen des projets de loi ordinaires. Il doit être, en conséquence, considéré comme contraire aux articles 39 et 44 de notre Constitution, ainsi qu'aux droits fondamentaux reconnus des parlementaires.
Pour l'ensemble des motifs évoqués ci-dessus, les députés soussignés demandent au conseil de déclarer la loi portant création de la couverture maladie universelle non conforme à la Constitution.
(Liste des signataires : voir décision no 99-416 DC.)